Comment Sherif Sheta dirige les TI pour maintenir le Canada à la fine pointe des sciences de la vie

Interview
24 Feb 2022
Healthcare IndustryIT Leadership

La culture est la clé du succès des technologies de l’information, dit le DTI du Centre pour la commercialisation de la médecine régénérative (CCRM) de Toronto.

health doc connect care telemedicine
Credit: Getty Images

L’une des principales préoccupations d’un DSI est de s’assurer que les services informatiques et le personnel d’une entreprise travaillent main dans la main à la poursuite des objectifs globaux de l’organisation.

Mais selon Sherif Sheta, DSI du Centre pour la commercialisation de la médecine régénérative (CCRM), les directeurs des services informatiques deviennent tellement absorbés par la partie technique de leurs activités qu’ils peuvent facilement perdre de vue l’aspect le plus important d’une entreprise : son personnel. Le CCRM est un organisme semi-privé situé à Toronto et œuvrant dans le domaine des sciences de la vie. Sa mission : développer et commercialiser de nouvelles techniques en matière de médecine régénérative et de thérapies géniques et cellulaires.

[ Read the English version: “How Sherif Sheta leads IT to keep Canada on life sciences’ cutting edge” ]

Sherif Sheta CCRM« Quand j’échoue dans mon travail, c’est parce que je n’ai pas prévu l’impact qu’un changement technologique pouvait avoir sur le quotidien des employés », dit Sheta, qui se remémore certaines expériences négatives qu’il a vécues pendant sa carrière de 35 ans en informatique.

Le CCRM est financé par les gouvernements du Canada, de l’Ontario et des partenaires universitaires et privés. L’un de ses principaux objectifs : faire du pays un pôle incontournable dans la production de thérapies géniques et cellulaires.

Sherif Sheta joue un rôle crucial pour assurer l’atteinte de cet objectif. La compréhension de la culture d’une organisation, dit-il, est la clé du rôle d’un DSI « transformationnel » : il doit s’assurer qu’affaires et informatique parlent la même langue. « J’interviens pour changer la culture des TI. J’essaie d’harmoniser les technologies, toujours mouvantes, et l’activité commerciale. C’est ça, la transformation. »

Le DSI : dirigeant et facilitateur de changement

De nombreux DSI considèrent qu’il existe une ligne de démarcation entre les services informatiques et le reste de l’organisation. Sheta pense différemment : il ne se considère pas comme le DSI mais plutôt comme l’un des « dirigeants de l’entreprise qui se trouve à avoir une expertise en technologies de l’information. Je suis l’un des éléments de cette organisation parmi d’autres. Je dois collaborer avec tout le monde et ne pas m’enfermer dans ma bulle informatique. »

C’est grâce à ce « leadership visible » et cet « engagement envers le personnel » que Sherif Sheta parvient à piloter de nouvelles initiatives informatiques d’un bout à l’autre de l’organisation. En s’assurant que chaque employé et cadre supérieur — des TI et des autres services — soient pleinement conscients de la façon dont les changements profiteront à l’ensemble de l’organisme.

En général, les informaticiens ne sont pas particulièrement reconnus pour leurs compétences en tant que communicateurs ni pour leur capacité à prévoir l’impact humain de leurs décisions. Ces deux lacunes peuvent nuire à leurs tentatives de faire évoluer une entreprise et faciliter sa croissance par l’informatique, dit Sheta. « Nous imposons tout le temps des changements au personnel, sans nous soucier de la façon dont ils sont mis en œuvre ni comment ils seront accueillis », dit-il.

Au fil des ans, Sheta a appris que si les gens comprennent les raisons d’un changement, ils l’accepteront davantage. C’est son approche personnelle — qu’il s’agisse de projets informatiques de plusieurs millions de dollars qui créeront des médicaments de nouvelle génération pour guérir le cancer, ou qu’il donne une simple formation à des employés sur un nouveau système informatique.

Jusqu’à présent, dit Sheta, cette démarche axée sur l’individu l’a bien servi au sein du CCRM, un organisme qui s’emploie à découvrir de nouvelles thérapies pour faire progresser la médecine régénérative. Cette spécialité médicale vise à harnacher la puissance des cellules souches, des biomatériaux et des molécules pour réparer, régénérer ou remplacer des cellules, tissus ou organes malades. La promesse ultime de la médecine régénérative : traiter, soigner et même guérir les problèmes médicaux causant la plupart des décès et des pathologies partout dans le monde — comme le cancer, la maladie d’Alzheimer et les troubles cardiaques.

Des outils simples pour gérer le changement

Sherif Sheta aide son organisation à créer des centres de pointe dédiés à la production de technologies biomédicales de nouvelle génération. Mais il garde constamment en tête les employés qui travaillent chaque jour au CCRM et qui doivent composer avec les constants changements informatiques.

Pour mieux les soutenir, il a déployé une panoplie d’outils simples mais puissants visant à faciliter le changement organisationnel ; ces méthodes sont indispensables, dit-il, pour « mettre en œuvre toute initiative technologique et atteindre des niveaux d’acceptation élevés ».

L’un de ces outils consiste à aider les employés occupant divers postes au sein de l’organisation à assimiler un changement informatique affectant directement leur travail : « J’ai rassemblé quelques diapositives que j’appelle Une journée dans la vie de, explique-t-il, tout en attribuant cette idée à un ancien collègue. « Vous prenez un poste et vous dites : voici à quoi ressemble votre journée de travail aujourd’hui — voici à quoi elle ressemblera demain avec ce nouveau système. Et voilà les changements que nous devons gérer et pour lesquels nous allons vous former — tout en rendant l’opération la plus limpide possible.

Autre outil mis en place depuis son arrivée au CCRM : des fonctionnalités d’auto-assistance incorporées à l’intranet du personnel, servant à soutenir la formation aux nouvelles technologies et à trouver des réponses aux questions que les employés peuvent se poser lorsqu’ils se familiarisent avec un nouveau système. Le programme propose de courtes vidéos portant sur différents sujets, permettant au personnel de naviguer rapidement vers les fonctionnalités sur lesquels il s’interroge.

« Depuis toujours, les TI donnent des formations à l’aide de vieux manuels PDF et lors de sessions interminables », dit Sheta. « Mais en fait, ce sont la facilité d’utilisation et les écrans intuitifs qui engendrent l’adoption de nouvelles technologies. »

Les défis particuliers d’un DSI dans le domaine des sciences de la vie

Le CCRM compte de multiples partenaires et intervenants à l’échelle mondiale en sciences de la vie, et doit composer avec une foule de nécessités logistiques et réglementaires. Ce qui, bien sûr, présente des défis uniques pour son DSI — défis que Sheta s’efforce de relever depuis 2016.

L’une de ses premières tâches fut d’aider le CCRM, en partenariat avec le University Health Network (Réseau universitaire en santé), à mettre en place une usine de fabrication à la fine pointe de la production de thérapies géniques et cellulaires à Toronto. Il s’agissait de développer des cellules et des vecteurs viraux en parfaite conformité avec les BPF (bonnes pratiques de fabrication).

Le Centre de production de cellules et de vecteurs a nécessité trois longues années de préparation avant sa mise en exploitation en 2019. Il permet aujourd’hui aux chercheurs universitaires et aux entreprises privées de produire du matériel en vue d’essais cliniques de phases I et II.

« Il est très coûteux de mettre en place des installations conforme aux normes de Santé Canada ou de la FDA, ou même d’aménager un simple laboratoire, dit Sheta. Nous travaillons à réduire le risque d’échec de nos partenaires et faisons le travail pour eux. » Le CCRM aide également les start-up et agit parfois comme incubateur, en expérimentant de nouvelles technologies pour vérifier leur viabilité avant d’y engager des ressources financières importantes, explique-t-il.

L’équilibre entre sécurité, connectivité et conformité

La mise en place du Centre a nécessité une réflexion et une planification minutieuses quant à son infrastructure informatique : elle devait répondre aux besoins de sécurité des données, de connectivité et de conformité — toutes choses cruciales pour la création d’un carrefour d’innovations dans le domaine des cellules souches.

« Nous devons penser à tous les instruments que les scientifiques utilisent pour mener à bien leurs expériences et leurs essais, dit Sheta, dans son entretien avec CIO Canada. « Il faut s’assurer que ces instruments et les données qu’ils produisent seront protégés en termes de cybersécurité. »

La connectivité et la redondance du réseau étaient également des aspects clés du projet car, ajoute-t-il, la science ne dort jamais : « les réseaux doivent être opérationnels en permanence car les chercheurs peuvent faire des expériences 24 heures sur 24, même pendant une semaine entière », dit-il.

Le Centre est actuellement opérationnel et peut fabriquer des cellules et des vecteurs viraux pour les chercheurs universitaires et les start-up. On peut aussi y concevoir de nouveaux procédés de fabrication qui pourront être utilisés dans l’avenir.

Le Centre a préparé le terrain pour un véritable campus de « biofabrication » — un projet visant à mener les thérapies géniques et cellulaires jusqu’aux essais cliniques de phase III et à la production commerciale. Le CCRM aménage actuellement ces installations en partenariat avec le McMaster Innovation Park à Hamilton, en Ontario.

Le futur centre, appelé OmniaBio, permettra au CCRM d’étendre ses opérations et de créer un nouvel organisme pour soutenir les entreprises d’ici et d’ailleurs axées sur la transition des thérapies géniques et cellulaires hors des laboratoires et jusqu’au marché médical commercial. L’investissement du CCRM dans les technologies informatiques de pointe pour soutenir les objectifs de production du nouveau centre « sera encore plus important », dit Sheta.

Par exemple, l’entreprise créera un réseau industriel infonuagique de type Internet des objets (IdO) qui connectera des capteurs capables de prendre des mesures directement dans les centres de fabrication — comme la température des matériaux biologiques thermosensibles — pour garantir que les opérations se déroulent efficacement, sans accroc et en ne produisant qu’un minimum de déchets, conclut Sheta.

Traduction par Daniel Pérusse